Peut-on créer un profil ICC pour son appareil photo ?
Publié le 20 octobre 2007 dans Articles et dossiers par Volker Gilbert
Réglage de la balance des blancs
Afin que vous puissiez attribuer le profil à des photos prises dans des conditions d’éclairage très variées (en excluant tout de même, nous l’avons déjà évoqué, certaines sources d’éclairage artificielles…), je vous recommande d’effectuer une balance des blancs manuelle dès la prise de vue. Photographiez de préférence une cible en gris neutre (QP Card, White Balance Card, Whibal, Digi Grey…), puis appliquez le réglage résultant à toutes les photos de la cible de calibrage. Sachez toutefois que ce réglage manuel n’est pas toujours correctement interprété par les logiciels de développement RAW ; il sera ainsi souvent nécessaire d’affiner le réglage en utilisant la pipette de l’outil Balance des blancs de votre logiciel de développement.
Assistants indispensables à la création de profils. De gauche à droite : cellule flashmètre Minolta, White Balance Card de Christophe Métairie, QpCard, cellule flashmètre Gossen et charte Digi Grey.
Eclairage et exposition de la charte
Photographiez votre cible de calibrage sous un éclairage « standard » (lumière du jour, flash électronique ou, par défaut, éclairage domestique de type tungstène). L’uniformité de l‘éclairement est très importante : certains logiciels de création de profil rejettent en effet une photo dont les quatre coins ne bénéficient pas du même niveau d’illumination. Une cellule flasmètre vous aidera à détecter, puis à corriger d’éventuels écarts d’exposition. La cellule est également très utile pour déterminer l’exposition de la charte, assez délicate : la plage J10 de la mire Digital Target 003 de Christophe Métarie, par exemple, doit afficher dans Photoshop une valeur de 50 pour la composante L (en mode Lab). Faites une petite série de prises de vue, articulée autour des données d’exposition proposées par votre appareil, en utilisant le mode Bracketing de votre boîtier, puis sélectionnez dans Photoshop l’image la mieux exposée.
Le calibrage d’un APN à partir d’une image JPEG est une jolie acrobatie colorimétrique. En effet, ce qu’un tel calibrage modélise, ce n’est pas le comportement colorimétrique de l’appareil mais sa combinaison avec l’algorithme de « rendu », l’usine à gaz chargée de métamorphoser les composantes RGB résultant du dématriçage en composantes RGB interprétées dans un espace de travail standard (Adobe RGB, sRGB…).
Or, l’étendue colorimétriques de notre belle nature est si vaste que, pour nous bricoler des images « plausibles et plaisantes », le processus de rendu doit se lancer dans des travaux correctifs qui peuvent aller jusqu’au ré-éclairage de la scène, les rendus les plus aventureux étant, bien entendu, ceux des APN « grand public ». L’application d’un calibrage ICC à ces derniers est donc déconseillé.
Comme ce que l’on calibre, c’est essentiellement l’algorithme de rendu, le résultat du calibrage dépend de l’espace de sortie choisi. On obtient ainsi un profil différent selon que l’on opte en sortie pour sRGB ou pour Adobe RGB, ce qui est bizarre puisque le comportement de l’APN proprement dit (en gros son capteur) ne peut pas dépendre d’un paramètre de sortie qui ne joue aucun rôle dans son fonctionnement. Remarquons aussi que, le rendu d’APN n’ayant PAS pour objectif de produire en sortie des couleurs identiques aux couleurs de la scène, mais des images « plausibles et plaisantes », les jolis graphiques dont nos revues préférées sont gourmandes et qui mesurent les déplacements infligés aux couleurs d’une mire, doivent être pris avec la plus grande prudence, le « meilleur » APN (au sens de notre image « plausible et plaisante ») pouvant être celui qui génère les plus grands déplacements d’une ColorChecker…
Cette situation assez scabreuse du calibrage d’APN trouve son origine dans l’attitude d’Adobe et des constructeurs d’APN qui, contre toute justification théorique (mais avec sans doute qq arrières pensées marketeuses), ont choisi de décrire le comportement colorimétrique des APN, non pas par un profil ICC, mais par un paquet de paramètres « propriétaires » incorporés à leurs appareils et à leurs logiciels de développement.
A cet égard, je rapporte dans la seconde édition de mon bouquin « La gestion des couleurs pour les photographes » – je m’autorise ici un peu de réclame car il doit paraître dans quelques jours -, une phrase de Thomas Knoll (génial co-inventeur de Photoshop) qui, répondant dans un congrès à un participant qui lui demandait pourquoi ACR et Lightroom n’étaient pas fondés sur des profils ICC d’APN, lui envoya dans les gencives que « quand on ne connaît que le marteau, on voit des clous partout »… Et toc !
Passons maintenant au versant optimiste de notre affaire. J’ai participé l’année dernière à d’assez nombreux échanges sur ce sujet avec des experts outre Atlantique (quasiment tous farouchement opposés au calibrage d’APN). Leur position est à peu près toujours la même : le gap dynamique entre scène et « image rendue » est un gouffre tellement profond qu’on ne peut le modéliser avec un profil ICC. En bref, le plus lourd que l’air ne peut pas voler parce que c’est impossible qu’il vole.
Et pourtant, cette mission suicidaire, interdite par l’ICC et réprouvée par Adobe, Nikon, Canon… certains l’accomplissent tous les jours avec profit. Il suffit pour cela d’utiliser un logiciel de développement capable de délivrer un fichier « semi-brut » contenant des composantes RGB dématriçées mais NON-INTERPRETEES dans un espace de sortie. L’image de la mire réalisée dans ces conditions est alors définie dans un espace qui est véritablement l’espace de l’appareil au sens de l’ICC, et c’est bien le comportement colorimétrique de l’appareil que va modéliser le profil bâti sur cette image. Notons qu’alors, le profil de l’APN ne dépend PAS de l’espace de sortie qui est ensuite choisi par le photographe pour produire ses images.
Mais quels sont les logiciels capables de produire des images « semi-brutes » et donc de s’inscrire dans un processus harmonieux de calibrage d’APN ? Ce sont d’abord tous les logiciels pilotes des dos numériques moyen format (les reproductions d’œuvres d’art réalisées par la Réunion des Musées Nationaux sont faites avec de tels appareils, calibrés tous les jours avec un logiciel Monaco). Pour les APN reflex 24×36 ou plus petit, la situation est moins brillante. Parmi les quelques logiciels qui peuvent s’intégrer à un véritable calibrage d’APN, notons que celui offrant la procédure la plus limpide et la mieux documentée est le défunt et regretté RawShooter. Capture One est également bien adapté, mais, il est plus difficile à maîtriser. Comme ce logiciel s’appuie sur le profil ICC de l’appareil pour orienter en douce certains aspects du rendu, il faut, pour produire l’image de la mire, neutraliser ses initiatives en utilisant un drôle de profil fourni par l’éditeur sous le nom de « Phase ONE – No color correction » !
Avec de tels logiciels de développement, voici quel est le flux de travail pour le calibrage d’un APN (toutes les images devant bien entendu faire l’objet d’une balance des blancs manuelle) :
1. Photographier une mire (je suggère la ColorChecker SG) en respectant impérativement les limites d’exposition exigés par le logiciel de calibrage. Pour une mire ColorChecker SG, les logiciels GretagMacbeth et Monaco demandent généralement que les composantes des « plages blanches » se situent dans l’intervalle 210-245 (dans une échelle 0-255), mais le tatillon inCamera exige « environ 243 ».
2. Développer l’image de la mire en demandant au logiciel de développement qu’il ne lui applique ni ne lui incorpore AUCUN profil d’appareil ou espace de sortie. Cette opération donne un fichier TIFF dont les composantes RGB sont définies dans l’espace de l’appareil, dématriçées mais non interprétées à travers un profil.
3. Traiter cette image brute de mire avec un logiciel de calibrage (ProfileMaker, Eye One Match, Monaco DC…) pour produire le profil ICC de l’APN.
4. Développer ensuite les images dans les mêmes conditions mais en paramétrant le logiciel de développement pour qu’il incorpore le nouveau profil d’APN aux fichiers de sortie.
5. En option : convertir l’image dans un espace standard de travail, si c’est justifié par les opérations situées en aval. C’est en particulier le cas quand on envisage de corriger l’image avec Photoshop, car il serait imprudent de le faire dans un profil d’appareil dont la neutralité des gris n’est pas assurée.
perso, j’ai fait faire un profil icc chez christophe pour mon 350d. déjà, pas besoin d’utilisé le profil ekta balance, le 350d est assez linéaire dans le rendu des gris. le profil est pris en charge par dxo en profil d’entrée (ce que ne font pas les autres, il me semble…). j’ai fait une série de 150 photos de 40 406 coupé et à part, la luminosité, le contraste et température de couleur, je n’ai pas touché une seul fois les couleurs et toutes les teintes des voitures et autre sujet sont à plus de 90% justes. ensuite, un essai d’une page de timbre de collection. après contrôle sur écran calibré, l’image ne nécessitait aucune correction de chromie.
Je ne suis pas surpris par les résultats que vous avez obtenus avec un profil bâti par Christophe Métairie. Son travail est de grande qualité et il a une large expérience du calibrage d’APN, ce qui n’est pas du tout banal…
Bonjour Jean,
Je suis très agréablement surpris que cet article t’a incité (une fois de plus) à nous faire partager ta grande expertise en gestion des couleurs !
Je te rejoins sur ce que tu dis à propos des logiciels de développement RAW, d’ailleurs je suis en train de concocter la suite de cet article ayant pour sujet le calibrage en travaillant au format RAW ! La Réunion des Musées Nationaux utilise, comme tu précise, des dos numériques Leaf, pilotés par le logiciel Leaf Capture qui permet, lui, désactiver l’application d’un profil d’entrée afin d’assister à la création d’un « vrai » profil. Parmi les logiciels capables de dématricer un fichier RAW, sans pour autant appliquer un profil d’entrée, je cite les logiciels dont tu parles, Capture One et le regretté RawShooter, ainsi que les logiciels DxO Optics Pro, Bibble, Raw Developer et Silverfast DC Pro, le dernier étant même capable d’automatiser la procédure de calibrage sans avoir besoin de l’aide d’un logiciel de création de profil – j’en reparlerai en détail dans la suite du présent article…