Questions Photo

Color-Skopar 20 mm et Distagon 21 mm : l’histoire de David et Goliath revisitée ?

Qualité optique

Pendant longtemps, Canon n’a pas tenu compte des revendications des acheteurs de ses boitiers « plein format » : dès la sortie du Canon EOS 1Ds il y a déjà huit ans, aucune des optiques super grand-angulaires de la marque n’était à même de produire des images bien définies jusqu’à la périphérie de l’image. De nombreux photographes se sont donc rabattu sur l’un des rares et mythiques Carl Zeiss Distagon 21 mm f/2.8 en monture Contax, sur certains cailloux Olympus en monture OM ou sur l’excellent Nikon AF-S 14-24 mm f/2.8G ED.
Aujourd’hui, plusieurs objectifs de la gamme Canon sont d’excellente qualité et capable de satisfaire les photographes même très exigeants, de quoi s’interroger sur l’utilité d’investir dans un objectif de la gamme Zeiss : EF 16-35 mm f 2.8 USM L II, 24 mm f 1.4 USM L II, TS-E 17 mm f/4 L et TS-E 24 mm f/3, 5 L II.


Quelle que soit l’ouverture utilisée, la qualité optique du Distagon est toujours excellente – un atout majeur lorsque la lumière fait défaut.

Si la qualité optique est sans doute le critère le plus « objectif » et le plus facile pour évaluer les performances d’un objectif, il en existe d’autres, plus subjectifs, mais aussi importants pour un photographe. Au-delà des mesures FTM (fonction de transfert de modulation), il y a aussi des caractéristiques de reproduction des tonalités et des couleurs (rendu) qui sont propres à la marque et au modèle de l’objectif. Les optiques du fabricant Carl Zeiss sont justement réputées pour leur rendu légèrement chaud (chaleureux) et la reproduction minutieuse des petits détails (microcontraste) – de quoi soupçonner que les deux filtres Clarté et Vibrance sont appliquées à la prise de vue !


En prise de vue rapprochée, la résolution, le contraste et le microcontraste demeurent très élevées

Rendu des couleurs

En termes de rendu des couleurs, le Distagon 21 mm f/2.8 se distingue des objectifs Canon et du Color-Skopar de chez Voigtländer-Cosina. Si le rendu des objectifs Canon est “neutre”, celui des objectifs Zeiss et Voigtländer est plus chaud, mais la tendance n’est pas la même ; tandis que le Zeiss introduit une petite dominante jaune (on dirait qu’il incorpore un filtre Wratten 81), le Voigtländer produit des images un peu magenta. Le marketing a sans doute contribué à ces différences : les Voigtländer furent à l’origine destinés au seul marché japonais (et les Japonais n’apprécient guère de se retrouver en « peaux jaunes » sur leurs photos…) alors que les objectifs de la gamme Carl Zeiss visent les photographes occidentaux (les Américains notamment sont très friands de couleurs chaudes).

Piqué et contraste

Je suis agréablement surpris du piqué de mon objectif Voigtländer. Si les analyses des mires FTM de certains testeurs lui attestent un piqué plutôt faible dans la périphérie de l’image, je lui trouve des performances assez satisfaisantes pour qu’on ferme le diaphragme jusqu’aux valeurs moyennes (f/8 ou f/11) — n’oublions pas que les mesures sont souvent réalisées à des distances ne rendant pas justice aux courtes focales. La plupart, et notamment le Color-Skopar, sont dépourvues de lentilles flottantes et souffrent d’une courbure de champ provoquant des bords moins nets lorsque le sujet photographié n’est que bidimensionnel ! Si les performances sur le terrain du Voigtländer démentent les mesures FTM, elles ne sont pas irréprochables, et notamment lorsqu’on les compare à celles, beaucoup plus homogènes, du Carl Zeiss Distagon.


Photo prise à f/16 à 15 s sur trépied et avec télécommande à fil, miroir relevé : Carl Zeiss Distagon 21 mm f/2,8 ZE…

…et Color-Skopar 20 mm f/3,5 SL II : l’angle de champ est visiblement plus grand avec le Voigtländer



Extraits à 100% du centre des images : heureux qui parvient à nommer le vainqueur



Extraits à 100% du coin inférieur gauche des photos : le Distagon distingue davantage de nuances

J’ai effectué une série de prises de vue d’une mire de résolution USAF-1951, imprimée au format 40 × 50 cm et photographiée à une distance de 2 mètres environ (ce qui correspond à 100 fois la distance focale) afin de comparer la résolution et les aberrations chromatiques du Voigtländer Color-Skopar et du Carl Zeiss Distagon. Bien que la mire n’occupe alors qu’une petite partie du champ photographié, les mesures sont plus réalistes, mettant les deux objectifs sur un pied égal : le Distagon arbore en effet un dispositif à lentilles flottantes (seul le groupe arrière se déplace et sa taille n’augmente pas aux distances de mise au point plus proches) et le Voigtländer possède en tout et pour tout un élément asphérique, pas vraiment efficace pour compenser la perte de piqué aux distances inférieures. Pour exclure l’influence, néfaste, de la courbure du champ, j’ai utilisé le mode LiveView de mon EOS 5 D Mark II pour faire une mise au point précise sur chacune des zones analysées (centre, bords et bords extrêmes). Pour analyser les prises de vue, je me suis servi du logiciel Imatest Master.


Si la résolution du Color-Skopar varie beaucoup à travers du champ photographié…

… celle du Distagon est à la fois plus homogène et plus élevée sur les bords de l’image

La compacité du Color-Skopar engendre certains compromis influant sur l’homogénéité des performances optiques : si la résolution rejoint peu ou prou au centre de l’image celle du Distagon, elle décroît progressivement avant de chuter fortement dans la périphérie de l’image. S’il suffirait de fermer à f/5,6 pour obtenir la résolution la plus élevée, sur le terrain il faut visser jusqu’à f/8 ou à f/11 pour compenser la courbure du champ.

Le Zeiss Distagon est bien plus homogène : déjà pleinement utilisable à la pleine ouverture, le piqué devient superlatif en fermant deux diaphragmes (f/5,6), puis baisse graduellement sous l’influence grandissante de la diffraction. Mais l’objectif offre toujours de très bonnes performances, et ce, quelles que soient l’ouverture et la distance de mise au point.

Aberrations chromatiques

Les aberrations chromatiques sont souvent à l’origine de la dégradation de qualité d’une image. Elles tendent à flouter les contours et leur amplitude est toujours proportionnelle à la distance qui les sépare du centre de l’image. Si elles envahissent les images réalisées au Color-Skopar, les aberrations chromatiques ne sont jamais vraiment gênantes sur celles prises avec le Distagon. Virtuellement invisibles au centre des images prises avec le Color-Skopar, elles deviennent très gênantes dans la périphérie, pour peu que vous réalisiez de très grands tirages. Les aberrations chromatiques du Distagon 21 mm f/2.8 sont en revanche tellement bien corrigées qu’elles restent peu visibles à travers le champ d’image et qu’elles ne nécessitent que rarement une correction logicielle.

Vignetage

Doté d’une lentille frontale aux dimensions génereuses, le Distagon n’est pas pour autant à l’abri du vignetage : entre f/2,8 et f/4, celui-ci demeure très marqué et il faut fermer à f/5,6 pour qu’il se fasse oublier sur la plupart des images, mieux que le Color-Skopar qu’il faut visser à f/8 ou à f/11 pour obtenir un taux de vignetage semblable.


Le vignetage (ici surtout visible dans le coin supérieur droit de l’image) n’est que rarement sujet à critiques. N’oublions pas qu’il s’agit d’un objectif super grand-angulaire.

Lumières parasites

Avec 16 élements en 13 groupes, le Distagon possède une construction optique plus sophistiquée que le Color-Skopar qui se contente de seulement 9 élements en 6 groupes dont une surface asphérique. On pourrait donc penser que le premier soit plus sensible aux lumières parasites et au flare que le second – or, ce n’est pas le cas, bien au contraire. Bénéficiant du celèbre
traitement multi-couches T* des objectifs Carl Zeiss, il ne produit qu’occasionellement des reflets gênants. Quant au Color-Skopar, presque irreprochable lorsque les sources lumineuses se trouvent dans l’image, il genère des taches magenta lorsqu’elles se situent hors champ.


Extraits à 100% de l’image précédente : Color Skopar….


…et Distagon : malgré l’emploi du pare-soleil d’origine, l’image saisie avec le Color-Skopar souffre de lumières parasites, contrairement à celle saisie avec le Distagon, remarquablement propre. A noter aussi la présence d’aberrations chromatiques sur l’extrait du Color-Skopar

4 commentaires “Color-Skopar 20 mm et Distagon 21 mm : l’histoire de David et Goliath revisitée ?

  1. Merci pour ce billet.
    Il est agréable de voir que les critères purement optiques ne sont pas toujours les seuls mis en avant, comme c’est trop souvent le cas au fil des nombreux « tests » sur le net.
    Utilisateur (heureux) de l’Ultron 40 SL II grâce à ton précédent article, je suis content de voir que le facteur discrétion a encore sa place, et que certains « osent » encore dire qu’ils utilisent un objectif peut-être moins bon sur le plan optique pur, mais qui par ailleurs à des qualités dues à sa petite taille. Facteur qui pour moi, au fil des années est devenu un critère « de taille » (c’est le cas de le dire ;)).

  2. Ayant quelques prime lens CANON, j’ ai été impressionné par ce premier achat ZEISS, au point que je rêve maintenant d’ un maco-planar 100 … La réputation de ces ZEISS ( made in JAPAN ) n’ est pas usurpée ! Pour le ZEISS, vous pouvez utiliser le module de correction de LIGHTROOM ( très utile ). En attendant ( avec impatience ) que DXO ( comme il l’ annonce, mais, bizarrement pas pour le 21 ??? ) nous propose son module de correction.

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