Camera Restricta : l’appareil photo désobeissant
Publié le 18 septembre 2015 dans Actualités par Volker Gilbert
Un appareil photo doit-il reprendre le contrôle pour éduquer son propriétaire ? Pour Philipp Schmitt, la réponse est oui. L’étudiant en conception interactive révèle son dernier projet d’études qui veut nous faire réfléchir sur la production massive d’images et sur la censure, qu’elle soit volontaire ou imposée.
Schmitt étudie à l’École supérieure du design à Schwäbisch-Gmünd, petite ville allemande surtout connue pour ses ateliers d’orfèvres et la Cathédrale de la Sainte-Croix, immortalisée en photos à la longueur de l’année par de nombreux touristes. Combien d’images existent-elles déjà de ce monument historique ? Sont-elles trop nombreuses ? En partant de ces deux questions, le jeune homme s’est penché sur la conception d’un appareil photo qui interdit la prise de vue de lieux trop photographiés. Pour cela, la Camera Restricta s’appuie sur les données de géolocalisation. À l’intérieur de l’appareil photo se cache un smartphone doté d’un module GPS. Une application dédiée parcourt les sites Flickr et Panoramio à la recherche d’images prises au même endroit, ou, plus précisément, dans un périmètre de 35 mètres. Tel un compteur Geiger, l’appareil photo émet un son pour chaque nouvelle image trouvée, augmentant le volume au fur et à mesure que leur quantité augmente. Lorsque celle-ci dépasse un seuil fixé par le concepteur, le déclencheur se rétracte et refuse toute coopération en laissant revenir le photographe bredouille ! Sur l’écran arrière s’affichent alors un « Nein » catégorique ainsi que le nombre d’images prises aux alentours.
Le concepteur insiste sur le fait qu’il s’agit d’un projet artistique et non pas d’un produit commercial. Selon lui, le concept serait bien entendu dénué de sens. Toutefois, il vise à nous faire réfléchir sur notre motivation en tant que producteur d’images et fournisseur du flot incessant d’images publiées via des sites sociaux. Et sur la censure : étant donné que tous les smartphones intègrent un module GPS, il serait tout à fait possible d’interdire la prise de vue dans certains lieux publics ou privés. L’appareil photo de Philipp Schmitt, tel qu’il se présente dans la vidéo, n’est pas opérationnel, seul le module GPS fonctionne.
Par ailleurs, l’utilisation des données GPS pour limiter les droits d’utilisation n’est pas entièrement nouvelle : le groupe Folk suédois John Moose vient de publier leur premier album sous forme d’application gratuite. Pour l’écouter, il faut se déplacer avec son smartphone dans une forêt identifiée en tant que telle par Google Maps.
L’art qui restreint les possibilités de l’art ! Philipp Schmitt travaille sans doute en collaboration avec l’industrie de la carte postale… Et en effet, pourquoi s’évertuer à prendre des photos de la place San Marco ou de la Tour Eiffel alors que cela a déjà été fait des millions de fois, souvent très bien. Néanmoins, il reste que Martin Parr, Hiroshi Sugimoto et le regretté Denis Roche, pour ne citer qu’eux, n’auraient guère utilisé cet appareil ! Du coup, à qui s’adresse-t-il ? Car il est peu probable que nous n’ayons pas déjà réfléchi à notre contribution au flot d’images véhiculé par le net.