Peut-on créer un profil ICC pour son appareil photo ?
Publié le 20 octobre 2007 dans Articles et dossiers par Volker Gilbert
Première partie d’une petite série, cet article établit les bases du calibrage d’un appareil photo numérique, puis vous explique comment calibrer votre boîtier en travaillant au format JPEG.
Partant du constat qu’un appareil numérique est un dispositif d’acquisition semblable au scanner, on pourrait penser que son calibrage est tout aussi aisé. Et pourtant, plusieurs obstacles se dressent devant le photographe qui souhaite optimiser la restitution des couleurs de son boîtier :
- contrairement à l’éclairage d’un scanner dont la température de couleur demeure stable, du moins en théorie (un certain vieillissement étant inéluctable…), un appareil photo numérique est amené à fonctionner dans des conditions de lumière très imprévisibles, aussi bien en termes d’intensité que de température de couleur ;
- alors qu’il est facile de désactiver tous les automatismes du logiciel de numérisation pour préserver les mêmes réglages pour chaque numérisation successive, il est impossible de « verrouiller » un boîtier ; pour faire entrer toutes les informations d’une image dans la plage dynamique du capteur, il faut intervenir dans les réglages d’exposition de l’appareil (diaphragme, vitesse d’obturation).
Pourquoi calibrer son appareil photo numérique
Impossible en théorie pour les raisons citées plus haut, le calibrage de l’appareil est bel et bien envisageable dans la pratique. Veillez simplement à prendre votre photo sous un éclairage plus ou moins « universel » (c’est-à-dire disposant d’une distribution du spectre homogène, ce qui exclut les éclairages de type fluorescent) : le profil créé, bien que valide stricto sensu pour l’éclairage ayant servi à son élaboration, procurera une bonne restitution des couleurs même lorsqu’il sera appliqué à une image prise sous un éclairage différent.
Voici les principaux arguments pour la création d’un profil personnalisé :
- la majorité des logiciels de développement RAW intègrent un ou plusieurs profils génériques par appareil pris en charge ; censé décrire le rendu colorimétrique de votre appareil, ce profil a été créé en analysant une prise de vue effectuée avec un autre exemplaire du même type de boîtier, il est donc probable que ce profil ne convienne pas pour le vôtre ;
- les logiciels de développement RAW « apposent leur signature » aux images converties. Ainsi, Capture One produit par défaut des images plutôt froides et claires, et Bibble des images plutôt chaudes et saturées. En créant un profil personnalisé, vous pouvez corriger le rendu spécifique d’un logiciel, ou bien homogénéiser le rendu de plusieurs logiciels ;
- la plupart des appareils peinent à reproduire les couleurs primaires très saturées (RVB). N’avez-vous pas déjà constaté que votre boîtier restituait un ciel bleu avec une dominante magenta, un gazon tout fade ou, au contraire, une Ferrari avec tant de saturation que toutes les nuances disparaissaient à jamais ? Le calibrage donnera alors des couleurs plus proches de la réalité.
Le calibrage d’un APN à partir d’une image JPEG est une jolie acrobatie colorimétrique. En effet, ce qu’un tel calibrage modélise, ce n’est pas le comportement colorimétrique de l’appareil mais sa combinaison avec l’algorithme de « rendu », l’usine à gaz chargée de métamorphoser les composantes RGB résultant du dématriçage en composantes RGB interprétées dans un espace de travail standard (Adobe RGB, sRGB…).
Or, l’étendue colorimétriques de notre belle nature est si vaste que, pour nous bricoler des images « plausibles et plaisantes », le processus de rendu doit se lancer dans des travaux correctifs qui peuvent aller jusqu’au ré-éclairage de la scène, les rendus les plus aventureux étant, bien entendu, ceux des APN « grand public ». L’application d’un calibrage ICC à ces derniers est donc déconseillé.
Comme ce que l’on calibre, c’est essentiellement l’algorithme de rendu, le résultat du calibrage dépend de l’espace de sortie choisi. On obtient ainsi un profil différent selon que l’on opte en sortie pour sRGB ou pour Adobe RGB, ce qui est bizarre puisque le comportement de l’APN proprement dit (en gros son capteur) ne peut pas dépendre d’un paramètre de sortie qui ne joue aucun rôle dans son fonctionnement. Remarquons aussi que, le rendu d’APN n’ayant PAS pour objectif de produire en sortie des couleurs identiques aux couleurs de la scène, mais des images « plausibles et plaisantes », les jolis graphiques dont nos revues préférées sont gourmandes et qui mesurent les déplacements infligés aux couleurs d’une mire, doivent être pris avec la plus grande prudence, le « meilleur » APN (au sens de notre image « plausible et plaisante ») pouvant être celui qui génère les plus grands déplacements d’une ColorChecker…
Cette situation assez scabreuse du calibrage d’APN trouve son origine dans l’attitude d’Adobe et des constructeurs d’APN qui, contre toute justification théorique (mais avec sans doute qq arrières pensées marketeuses), ont choisi de décrire le comportement colorimétrique des APN, non pas par un profil ICC, mais par un paquet de paramètres « propriétaires » incorporés à leurs appareils et à leurs logiciels de développement.
A cet égard, je rapporte dans la seconde édition de mon bouquin « La gestion des couleurs pour les photographes » – je m’autorise ici un peu de réclame car il doit paraître dans quelques jours -, une phrase de Thomas Knoll (génial co-inventeur de Photoshop) qui, répondant dans un congrès à un participant qui lui demandait pourquoi ACR et Lightroom n’étaient pas fondés sur des profils ICC d’APN, lui envoya dans les gencives que « quand on ne connaît que le marteau, on voit des clous partout »… Et toc !
Passons maintenant au versant optimiste de notre affaire. J’ai participé l’année dernière à d’assez nombreux échanges sur ce sujet avec des experts outre Atlantique (quasiment tous farouchement opposés au calibrage d’APN). Leur position est à peu près toujours la même : le gap dynamique entre scène et « image rendue » est un gouffre tellement profond qu’on ne peut le modéliser avec un profil ICC. En bref, le plus lourd que l’air ne peut pas voler parce que c’est impossible qu’il vole.
Et pourtant, cette mission suicidaire, interdite par l’ICC et réprouvée par Adobe, Nikon, Canon… certains l’accomplissent tous les jours avec profit. Il suffit pour cela d’utiliser un logiciel de développement capable de délivrer un fichier « semi-brut » contenant des composantes RGB dématriçées mais NON-INTERPRETEES dans un espace de sortie. L’image de la mire réalisée dans ces conditions est alors définie dans un espace qui est véritablement l’espace de l’appareil au sens de l’ICC, et c’est bien le comportement colorimétrique de l’appareil que va modéliser le profil bâti sur cette image. Notons qu’alors, le profil de l’APN ne dépend PAS de l’espace de sortie qui est ensuite choisi par le photographe pour produire ses images.
Mais quels sont les logiciels capables de produire des images « semi-brutes » et donc de s’inscrire dans un processus harmonieux de calibrage d’APN ? Ce sont d’abord tous les logiciels pilotes des dos numériques moyen format (les reproductions d’œuvres d’art réalisées par la Réunion des Musées Nationaux sont faites avec de tels appareils, calibrés tous les jours avec un logiciel Monaco). Pour les APN reflex 24×36 ou plus petit, la situation est moins brillante. Parmi les quelques logiciels qui peuvent s’intégrer à un véritable calibrage d’APN, notons que celui offrant la procédure la plus limpide et la mieux documentée est le défunt et regretté RawShooter. Capture One est également bien adapté, mais, il est plus difficile à maîtriser. Comme ce logiciel s’appuie sur le profil ICC de l’appareil pour orienter en douce certains aspects du rendu, il faut, pour produire l’image de la mire, neutraliser ses initiatives en utilisant un drôle de profil fourni par l’éditeur sous le nom de « Phase ONE – No color correction » !
Avec de tels logiciels de développement, voici quel est le flux de travail pour le calibrage d’un APN (toutes les images devant bien entendu faire l’objet d’une balance des blancs manuelle) :
1. Photographier une mire (je suggère la ColorChecker SG) en respectant impérativement les limites d’exposition exigés par le logiciel de calibrage. Pour une mire ColorChecker SG, les logiciels GretagMacbeth et Monaco demandent généralement que les composantes des « plages blanches » se situent dans l’intervalle 210-245 (dans une échelle 0-255), mais le tatillon inCamera exige « environ 243 ».
2. Développer l’image de la mire en demandant au logiciel de développement qu’il ne lui applique ni ne lui incorpore AUCUN profil d’appareil ou espace de sortie. Cette opération donne un fichier TIFF dont les composantes RGB sont définies dans l’espace de l’appareil, dématriçées mais non interprétées à travers un profil.
3. Traiter cette image brute de mire avec un logiciel de calibrage (ProfileMaker, Eye One Match, Monaco DC…) pour produire le profil ICC de l’APN.
4. Développer ensuite les images dans les mêmes conditions mais en paramétrant le logiciel de développement pour qu’il incorpore le nouveau profil d’APN aux fichiers de sortie.
5. En option : convertir l’image dans un espace standard de travail, si c’est justifié par les opérations situées en aval. C’est en particulier le cas quand on envisage de corriger l’image avec Photoshop, car il serait imprudent de le faire dans un profil d’appareil dont la neutralité des gris n’est pas assurée.
perso, j’ai fait faire un profil icc chez christophe pour mon 350d. déjà, pas besoin d’utilisé le profil ekta balance, le 350d est assez linéaire dans le rendu des gris. le profil est pris en charge par dxo en profil d’entrée (ce que ne font pas les autres, il me semble…). j’ai fait une série de 150 photos de 40 406 coupé et à part, la luminosité, le contraste et température de couleur, je n’ai pas touché une seul fois les couleurs et toutes les teintes des voitures et autre sujet sont à plus de 90% justes. ensuite, un essai d’une page de timbre de collection. après contrôle sur écran calibré, l’image ne nécessitait aucune correction de chromie.
Je ne suis pas surpris par les résultats que vous avez obtenus avec un profil bâti par Christophe Métairie. Son travail est de grande qualité et il a une large expérience du calibrage d’APN, ce qui n’est pas du tout banal…
Bonjour Jean,
Je suis très agréablement surpris que cet article t’a incité (une fois de plus) à nous faire partager ta grande expertise en gestion des couleurs !
Je te rejoins sur ce que tu dis à propos des logiciels de développement RAW, d’ailleurs je suis en train de concocter la suite de cet article ayant pour sujet le calibrage en travaillant au format RAW ! La Réunion des Musées Nationaux utilise, comme tu précise, des dos numériques Leaf, pilotés par le logiciel Leaf Capture qui permet, lui, désactiver l’application d’un profil d’entrée afin d’assister à la création d’un « vrai » profil. Parmi les logiciels capables de dématricer un fichier RAW, sans pour autant appliquer un profil d’entrée, je cite les logiciels dont tu parles, Capture One et le regretté RawShooter, ainsi que les logiciels DxO Optics Pro, Bibble, Raw Developer et Silverfast DC Pro, le dernier étant même capable d’automatiser la procédure de calibrage sans avoir besoin de l’aide d’un logiciel de création de profil – j’en reparlerai en détail dans la suite du présent article…