Gestion des couleurs : l’option Adobe de « compensation du point noir »

Le mode de rendu Colorimétrie relative décale les couleurs imprimables pour faire correspondre le blanc de l’espace source avec celui du support imprimé. Ainsi, ce mode se conforme-t-il à notre perception du blanc, laquelle s’adapte à la couleur du papier. Mais qu’en est-il du noir ? Cet article inaugure une série de cinq billets qui reviennent sur quelques points essentiels de la gestion des couleurs à l’occasion de la parution prochaine en librairie de La gestion des couleurs pour les photographes, les graphistes et le prépresse.

Compensation du point noir en mode Colorimétrie relative

Le mode relatif applique benoîtement au noir la même méthode qu’aux autres couleurs, lui faisant simplement subir le petit décalage rituel d’adaptation au support par application de la matrice de Bradford… Hélas, la dynamique du support imprimé étant bien plus modeste que celle des données inscrites dans le fichier d’une image, le noir le plus profond imprimable réellement par l’imprimante est un « gris » moins sombre que le noir de l’espace source. Les nuances les plus foncées de l’image sont alors, en gros, converties et imprimées dans ce seul et même gris : le « noir » de l’imprimante. Cet appauvrissement des couleurs les plus denses provoque dès lors une perte de détails généralisée dans les ombres.

Fort heureusement, depuis Photoshop 5.0, Adobe intègre à ses logiciels un algorithme « propriétaire », non standardisé par l’ICC, permettant de corriger cette faiblesse spécifique du mode de rendu Colorimétrie relative. Ce module un peu savant calcule les points noirs de l’espace source et de l’espace de destination, les met en correspondance, puis décale en conséquence les « nuances les plus sombres » de l’espace d’impression en les éclaircissant légèrement. Cette option déforme donc un peu le rendu colorimétrique des couleurs les plus sombres mais il les rend perceptibles.

Pour mieux comprendre le principe de cette compensation, examinez les figures suivantes. Elles en grossissent les effets sur une image comportant simplement deux nuances : un triangle gris foncé inscrit dans un disque noir :

• la dynamique de l’espace source est figurée par une gamme de gris allant du noir source, appelé « Noir 1 », au blanc ;
• le noir de l’espace d’impression est un gris foncé appelé « Noir 2 » ;
• la conversion de l’image sans compensation du point noir confond les nuances les plus sombres de l’espace source dans l’unique nuance grise « Noir 2 ». Les deux couleurs de l’image sont alors converties dans ce seul et même gris et l’image perd tout son sens, se réduisant à un simple disque gris ;
• la conversion de l’image avec la compensation du point noir adopte la nuance grise « Noir 2 » comme noir cible mais préserve l’existence des nuances les plus sombres en les convertissant en gris un peu moins denses que « Noir 2 »… L’image convertie est alors plus claire que sa version originale mais, ce qui est primordial, elle conserve sa structure en deux nuances et reste donc lisible : un triangle gris inscrit dans un cercle plus sombre.

La compensation du point noir permet d’identifier les nuances de gris les plus sombres.

Maintenant que nous avons saisi à grands traits le mécanisme de base de la compensation du point noir, examinons les bénéfices qu’elle apporte à une impression pour arts graphiques avec une imprimante professionnelle Epson Stylus Pro 7900 et deux supports haut de gamme : un papier mat, Epson Mat Archival, et un papier brillant, Tecco Photo BT 270 Baryt.

Nous avons tracé les courbes de réponse ci-dessous en appliquant le logiciel GamutVision (conçu par Norman Koren, www.gamutvision.com) aux profils établis par Christophe Métairie pour son propre équipement (www.cmp-color.fr). Elles donnent, en ordonnée, les densités imprimées d’une gamme de couleurs neutres, et, en abscisse, le niveau d’entrée exprimé en logarithme de la composante R = G = B divisée par 255. Un simple examen des courbes de réponse montre que :

• sans l’option Compensation du point noir, l’impression est appauvrie, toute une gamme de gris foncés en entrée se confondant, sur le papier, dans le noir de l’imprimante (zones surlignées en jaune) ;
• avec l’option, les gris foncés sont en revanche légèrement éclaircis et s’étagent en nuances successives imprimables (zones surlignées en vert).

L’amélioration de la lisibilité des gris est particulièrement spectaculaire avec le papier mat. La dynamique d’un tel support est en effet plus réduite que celle du papier brillant, ce qui aggrave les risques d’appauvrissement dans les ombres (la zone surlignée en jaune est plus étendue que pour le papier brillant).

En mode de rendu Colorimétrie relative sans option de compensation du point noir, les gris foncés se confondent dans le seul « noir » d’impression (jaune). Avec l’option, les gris foncés s’éclaircissent pour se répartir dans une gamme de niveaux de sortie étagés (vert).

Voici ci-dessous l’effet de la compensation du point noir sur image à la fois dense et comportant des parties extrêmement saturées. L’original défini dans ProPhoto RGB est converti vers un profil pour l’impression offset sur papier non couché (Uncoated FOGRA29), selon le mode de rendu Colorimétrie relative, avec et sans l’option de compensation du point noir. On voit que l’absence de l’option produit une image horriblement bouchée dans les ombres. En revanche, avec l’option de compensation, les couleurs très saturées (fards rouge et rose) sont désaturées, mais l’étagement tonal des zones les plus denses est respecté et l’image reste partout lisible.

Conversion de l’image originale (en haut) en mode de rendu Colorimétrie relative avec et sans la compensation du point noir. (Marchand de fards sur le marché de Mysore, en Inde)

Très généralement, la compensation de point noir dans les conversions d’impression RGB-RGB, RGB-CMJN, voire CMJN-CMJN (à éviter), améliore la lisibilité des photographies dans leurs zones les plus denses. Mais attention tout de même, l’éclaircissement des valeurs sombres peut parfois affadir certaines images. Dans ce cas, décochez l’option.

On lit parfois qu’il faut renoncer à la compensation du point noir quand on imprime une épreuve avec Photoshop. Il s’agit là d’une interprétation erronée de l’interface du logiciel, laquelle, il est vrai, est ambiguë et même carrément mensongère dans sa version française. Nous verrons au chapitre 5 du livre (section « L’épreuvage avec Photoshop, la simulation d’une presse ») que, quand on lui fait imprimer une épreuve, le logiciel demande à l’utilisateur de préciser le mode de rendu et l’option de compensation du point noir. Mais il s’agit là de données concernant l’imprimante cible (que l’on cherche à simuler) et non l’imprimante avec laquelle on imprime l’épreuve.

Conclusion : quand vous imprimez une épreuve, fournissez simplement à Photoshop le mode de rendu et l’option de compensation du point noir qui seront appliqués à la future impression cible ! Quant à l’impression de l’épreuve proprement dite, elle se fera obligatoirement, sans que le logiciel ne vous demande votre avis, en mode Colorimétrie absolue, un mode pour lequel l’option de compensation du point noir n’a strictement aucun sens…